
Après Elle et nous, Le vent en parle encore ou Tsunamis, Michel Jean a marqué 2020 avec Kukum (éditions Dépaysage) lui ayant valu le Prix France-Québec à la fin de l’année. Pour les lignes de Trouble Bibliomane, l’auteur et journaliste québécois revient sur son dernier roman et la sédentarisation forcée des autochtones du Canada.
Ce roman parle de votre arrière-grand-mère, Almanda Siméon, quittant sa ferme natale pour l’amour de Thomas, un Innu du lac Pekuakami. Qu’est-ce-qui vous a poussé à écrire sur elle, lui rendre hommage ?
Michel Jean : A l’origine, je souhaitais raconter comment s’est faite la sédentarisation forcée des autochtones. Même au Québec, certaines personnes pensent encore que les Premières Nations ont toujours vécu sur ce que l’on appelle les réserves. Pourtant, c’est très récent et les allochtones ont souvent une perception dépréciative des autochtones sans comprendre ce qui a amené ces communautés à ce type de situation. J’ai donc cherché une manière de raconter cela, et j’ai eu l’idée de le faire à travers le prisme de ma famille, Almanda, Thomas, et les autres. Je raconte leur histoire, mais en vérité je raconte celle des autochtones dans son entièreté. Cela permet une meilleure identification au personnage. Ainsi, que l’on soit Québécois, Français, Belge… On peut bien mieux ressentir ce que les autochtones ont vécu sans que cela passe par un point de vue historique ou politique.
Considérez-vous que vous signez votre meilleur roman avec Kukum ?
MJ : J’ai espoir que chaque roman que j’écris soit meilleur ou différent, et je pense que l’on se bonifie en tant qu’auteur. J’ai toujours eu de bonnes critiques sur mes livres mais je pense qu’il y a quelque chose de particulier dans l’histoire d’Almanda et Thomas qui a touché beaucoup de lecteurs. En Europe, la vision du livre est assez différente, mais savoir si c’est mon meilleur roman… C’est comme demander à quelqu’un lequel de ses enfants il préfère ! Je voulais que le roman soit perfectionné car je souhaitais que les habitants de Mashteuiatsh (ndlr : Pointe-Bleue) soient fiers. Il y avait une certaine responsabilité lors de l’écriture. Je le répète souvent mais nos histoires sont orales et j’avais à cœur de produire quelque chose de beau et compréhensible de tous.
On constate d’emblée qu’Almanda ne peine pas à intégrer la communauté innue et qu’aucune réticence n’est visible de la part de sa nouvelle famille. Réalité ou fiction ?
MJ : Réalité ! Car oui, ça s’est vraiment passé ainsi et je souhaitais le montrer dans ce roman. Tout le monde connaissait mon arrière-grand-mère et ne faisait pas référence à sa couleur de peau. En revanche elle s’est taillé une place dans la communauté et ne s’est pas fait adopter, loin de là. Je ne veux pas que les lecteurs pensent que les autochtones étaient parfaits sur tout non plus.
Le livre a eu beaucoup de succès en Europe, qu’est-ce-que cela vous procure de voir que l’histoire de votre arrière grand-mère traverse l’Atlantique pour toucher un lectorat français ?
MJ : J’ai trouvé cela très émouvant ! C’est un peu la magie d’Almanda. Le lectorat l’a acceptée et l’a aimée comme ça. J’ai eu le sentiment d’être compris outre-Atlantique de par les nombreux témoignages de lectrices et de lecteurs car l’histoire de mon arrière grand-mère est universelle, c’est celle d’un monde que l’on perd, mais c’est aussi une histoire d’amour. Quand le livre a été sélectionné pour le prix France-Québec 2020, j’ai été soufflé. Ici, je fais de la télévision et l’on me connaît, mais en France ce n’est pas le cas. Les lecteurs se sont référés aux mots et non à mon métier. Le texte a raisonné, et pour quelqu’un qui aime lire comme moi, que l’on reconnaisse la force d’une histoire c’est bien le plus beau compliment.
Dans le roman, vous mettez en avant la façon dont Almanda Siméon s’est battue pour les droits de sa communauté, mais aussi la manière dont ils ont été bafoués. Cependant, on ne ressent pas de colère de votre part à travers vos mots. Pourquoi ?
MJ : Je ne voulais pas blâmer les lecteurs, ni les pointer du doigt. Je ressens de la colère par moments, mais pas toujours. Par exemple, j’étais énervé et j’ai pleuré lors de l’écriture d’une scène du livre. Dedans, Thomas ne peut plus remonter la rivière à cause de la drave. j’ai eu besoin d’appeler une amie pour évacuer ma peine et ma frustration ce soir-là. Un jour, Joséphine Bacon, une poétesse innue que j’aime beaucoup m’a dit « Tu sais, on ne peut pas vivre fâché toute sa vie » et elle a raison, ce n’est pas dans ma personnalité. Mais je souhaitais toutefois que les lecteurs ressentent de la colère et de l’injustice à certains passages de mon roman, qu’ils se mettent à la place des Innus, et ainsi vivre cette même position difficile. D’ailleurs, que le livre ait une portée en Europe met aussi une certaine pression au Canada, c’est un moyen pour moi de démontrer que le Monde nous regarde et observe les problèmes de fond qui ne sont toujours pas réglés.
Ces dernières années, constatez-vous une émergence de la littérature autochtone au Canada ainsi qu’en Europe ?
MJ : Oui, ça bouge beaucoup ! Il y a vingt ans, on pouvait trouver quelques livres écrits par des autochtones mais aujourd’hui il y en a beaucoup. On y trouve des auteurs de toutes générations et cela me plait. Je trouve que l’on est un peu comme les Haïtiens, un peuple qui a quelque chose à dire. En vérité, ça a commencé avec de la poésie, et la littérature au sens large s’est développée ensuite. Pour les autochtones, c’est une façon de prendre la parole, faire entendre une voix.
Souhaitez-vous écrire un roman en innu ?
MJ : Non, pas pour l’instant car je ne connais pas la langue comme beaucoup d’Innus, et c’est ma grande blessure. Comme je n’ai pas grandi dans la communauté et que j’ai été scolarisé en ville, j’ai appris le français mais je souhaite faire traduire l’un de mes livres. La loi sur les Indiens m’a réellement privé de cet apprentissage, c’est l’une de ses grandes conséquences pour moi-même et beaucoup d’autres. Dès que je le peux, j’essaie d’apprendre et de suivre des cours bien que cela soit compliqué mais ce passé me prive d’une partie de ma propre culture.
Pensez-vous réécrire sur les autochtones ?
MJ : Absolument. Mon roman Le vent en parle encore édité en 2013 au Québec a été retravaillé et paraîtra au printemps aux éditions Dépaysage sous le titre de Maikan signifiant « Loup » en innu. C’est un roman qui se déroule dans les pensionnats, et plus précisément à Fort George dont je parle également dans Kukum. Un endroit au passé lourd qui a vu de nombreux autochtones se faire maltraiter, et parfois violer. J’ai hâte de voir son accueil en Europe ! Je suis également en train d’écrire un livre sur les autochtones dans le milieu urbain, un moyen de montrer l’évolution de cette sédentarisation au cours du temps.
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Crédits photo : Julien Faugere
J’aime beaucoup, ce roman a l’air superbe! Je l’ajoute à ma PAL! Merci pour la découverte de cet auteur et de son roman.
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Oui, il est vraiment très beau ! Je pense que tu vas aimer.
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J’ai eu un gros coup de coeur pour Kukum!
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