Entretien avec Alexandra Koszelyk : « On écrit en partant de soi, de ce qui nous hante ou bouleverse »

Entretien avec Alexandra Koszelyk : « On écrit en partant de soi, de ce qui nous hante ou bouleverse »

Alexandra Koszelyk a ému les lecteurs en 2019 avec son premier roman A crier dans les ruines publié aux éditions Aux Forges de Vulcain. Après quatre distinctions pour cet ouvrage, l’auteure et professeure de Lettres Classiques livre en ce début d’année un nouvel objet du désir déjà adulé, La Dixième Muse.

La dixième muse retrace, à travers la fiction, les amours et femmes inspirantes de la vie d’Apollinaire, pourquoi choisir particulièrement cet écrivain ?

Apollinaire est ce poète qui m’a accompagnée depuis le lycée. J’ai étudié Alcools en première avec une professeure excellente, et j’y ai trouvé ce que je cherchais : une réponse à la dualité du monde. Alcools écrit par Apollinaire, c’est le dieu Apollon qui tente de se battre (en vain) contre le dieu de l’ivresse Dionysos. Et j’ai adoré ce combat, ces mises en scène modernes autour de dieux païens, cette écriture qui donnait un coup de pied dans les codes poétiques. J’avais en moi un grand écart et je le voyais matérialisé dans ce recueil. 

Ensuite, quand j’ai passé un concours pour enseigner, le hasard a voulu que je tire au sort un poème d’Apollinaire. Comme c’est un artiste qui me suit, c’est tout naturellement que j’ai eu envie de le relire voici trois ans. A ce moment-là, je ne souhaitais pas écrire un roman qui évoquerait ce poète, mais en replongeant dans Les lettres à Lou, j’ai eu envie de connaître la femme derrière la muse. Je voulais connaître les réponses de Lou à Apollinaire. Ces lettres n’étaient pas encore publiées, mais je pouvais les consulter : je les ai donc demandées à l’université de Washington. Elles montrent une Lou moins frivole ou volage que l’image que nous avons d’elle. J’ai alors eu envie d’écrire sur elle, sur cette femme qui est devenue une muse, malgré elle. 

Ensuite, j’ai étendu mes lectures aux biographies d’Apollinaire, et j’ai connu Marie Laurencin, Annie Playden … toutes ces femmes qui ont peuplé la vie du poète. Je les ai toutes trouvées touchantes, mais oubliées. Voilà comment naît un roman …  D’un manque à combler. Faire parler les femmes derrière les muses, l’homme derrière l’artiste. Et puis, de fil en aiguille, j’ai eu envie de parler aussi de « la grande oubliée ».   

Au cours du roman, vous vous plongez dans les yeux de chaque muse, mais aussi ceux de Picasso, avez-vous donné une grande place aux recherches littéraires pour donner vie à ces personnes dans l’ouvrage ?

J’ai fait des recherches, j’ai pris des notes, puis je les ai laissées dans un coin pour les oublier. Une fois que ces informations sont devenues miennes, que je les avais « digérées », certaines choses sont restées en moi, c’était une sorte de terreau dont je me suis servi lors de l’écriture. Il fallait passer par ce laps de temps pour faire miennes ces informations, les colorer, car on écrit en partant de soi, de ce qui nous hante ou bouleverse.  

La nature semble omniprésente dans vos deux romans, quel lien entretenez-vous avec elle ?

Elle m’est essentielle, une sorte de respiration, un désir nécessaire donc. Je suis une fille de la mer, j’ai vécu à côté d’elle jusqu’à mes trente ans, et il n’était pas rare que je prenne ma voiture pour m’y balader le soir, et ce plusieurs fois par semaine. Je ne la savais pas essentielle jusqu’à ce que je m’éloigne d’elle. Si la mer était mon quotidien, la forêt était réservée aux escapades estivales. De nouveau, je m’y sentais à ma place, je pouvais y rester des heures. Actuellement j’habite en région parisienne, je suis coupée de la nature, mais dès que je peux m’évader, je le fais. 

Quels sont les grands auteurs qui influencent votre écriture poétisée ?

J’ai un gros faible pour Marguerite Yourcenar, Sylvie Germain, Renée Vivien, Jean Giono, Saint-Exupéry, mais aussi des poètes comme René Char, Pablo Neruda, Anna Akhmatova. Récemment j’ai aimé découvrir l’univers si particulier de Olga Tokarczuk

Les éléments littéraires de vos ouvrages rappellent souvent ceux de la littérature médiévale à travers les liens amoureux courtois (A crier dans les ruines) et cette nature luxuriante, vous en inspirez-vous ?

On peut effectivement établir une analogie entre certains motifs de mes romans et ceux qu’on trouve dans la littérature médiévale. Toutefois, la littérature est un puissant réseau inextricable, et lorsque Chrétien de Troyes écrit ses romans arthuriens, il porte dans ses bagages d’Ovide qu’il a traduit. La littérature médiévale est aussi une réécriture des motifs antiques. On retrouve ainsi des éléments de l’amour courtois dans le Daphnis et Chloé du Ier siècle ap JC, lui-même inspiré des poèmes de Théocrite. En résumé, la littérature ne cesse de reprendre des motifs ou thèmes qu’elle a déjà exploités et les remet à jour. C’est un renouvellement perpétuel. 

Mes romans sont un patchwork de ce que j’ai pu apprendre lors de mes études, ils sont le miroir de ce qui me constitue, de mon terreau. Je ne réfléchis pas vraiment aux motifs que je mets dans mes romans, ils viennent d’eux-mêmes, ce n’est qu’après, lorsqu’on me pose des questions que je perçois ce que j’y ai mis. D’ailleurs la question me fait penser à la forêt (ou par extension la Nature) qui joue un grand rôle dans mes romans. C’est aussi un motif de la littérature médiévale, mais de façon générale c’est aussi un lieu ambivalent, car c’est à la fois l’endroit où l’on se perd, mais aussi celui où l’on se retrouve. C’est le lieu parfait pour mes personnages, souvent en quête d’eux-mêmes. Et puis, c’est aussi le lieu où la nature se crée d’elle-même, comme l’imagination.  

Je ne peux donc que constater l’utilisation des motifs médiévaux, sans me dire que je me borne à la littérature médiévale. On peut ainsi lire mon premier roman comme une tragédie moderne, ou percevoir dans le second du réalisme magique propre à la littérature sud-américaine. 

Les lecteurs sont conquis par vos deux romans, avez-vous déjà en tête la trame narrative d’un troisième ?

J’ai commencé l’écriture du troisième, en effet ! Quand j’ai envoyé mon manuscrit à mon éditeur, je me suis retrouvée « toute nue », en attente. Or je déteste l’attente, alors j’ai transformé cette énergie en réflexion. 

Pour découvrir d’autres interviews, rendez-vous ici.

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