Entretien avec Annie Ferret : « Mon écriture est un agrégat de tout ce qui me fascine »

Entretien avec Annie Ferret : « Mon écriture est un agrégat de tout ce qui me fascine »

Auteure et modèle d’art, Annie Ferret a enseigné pendant dix ans avant de se consacrer à l’écriture. De cette reconversion est né Les Hyènes (éditions Grasset), ce premier roman sélectionné dans les 21 ouvrages en lice du Prix Orange du Livre 2021, retraçant l’histoire incroyable d’un acte qui fit un jour d’une femme, une hyène.

Votre premier roman met en lumière les mémoires transgénérationnelles (ndlr : les émotions inconscientes portées par une personne et transmises par son arbre généalogique). Comment le sujet s’est imposé à vous ?

Annie Ferret (AF) : « Il n’est pas arrivé par hasard dans ma vie. Je m’intéressais depuis longtemps au sujet, j’ai parcouru de nombreux livres et j’ai regardé des conférences très intéressantes à ce propos, notamment les cours du collège de France d’Édith Heard. Je ne comprenais pas tout, mais ça n’avait aucune importance, ça me passionnait. Cependant, au moment d’écrire Les Hyènes, j’ai préféré me détacher de toute la matière que j’avais pu découvrir pour privilégier la fiction à l’écrit « scientifique ». Je me suis donc mise en retrait pour récupérer une infime partie des informations que j’avais à propos de ces mémoires. »

La figure de l’hyène est omniprésente dans le livre, elle illustre cette lignée de femmes dominatrices, fortes, et autoritaires qui donnent tout le cachet à l’intrigue. Pourquoi choisir cet animal ?

AF : « Les hyènes ont souvent une image mauvaise aux yeux des hommes et dans le règne animal. C’est presque une vision sexiste des choses. Quand la femelle domine, c’est perçu négativement. J’éprouve une certaine tendresse pour les femmes de mon roman, elles apparaissent comme des mégères mais elles collent à la symbolique de cet animal souvent imaginé comme un être affreux. Le préjugé le plus fréquent sur cet animal est essentiellement son coté charognard, pourtant il préfère la chair fraîche et la chasse ! Comme toutes les figures animalières, elles peuvent avoir plusieurs symboliques et j’avais envie d’assimiler ces femmes à cet animal, c’était une manière de le réhabiliter et de mettre en avant la complexité de mes personnages. »

Pour illustrer vos personnages principaux comme Blanche, Colette, ou Louise-Huguette, vous êtes-vous inspirée de vos proches ?

AF : « C’est difficile de dire que l’on ne met jamais de soi dans un roman, mais aussi de dire que tout vient de notre vie personnelle. J’écris des contes et j’ai la sensation d’y mettre énormément de moi. Mais dans ce roman, il y a sûrement une mémoire involontaire autour des choses que je peux inventer. Ce village picard dans lequel se passe mon intrigue m’est cher, je n’ai jamais vécu en Picardie mais ce lieu, c’est un lieu universel et symbolique. Tout le monde se connaît et se raconte les mêmes histoires qui traversent les siècles. Ces personnages peuvent se retrouver dans de nombreux villages et de nombreuses régions, on connaît tous une mégère, ou une vieille dame qui connaît toutes les légendes. Il y a un universel derrière les femmes de mon roman, elles sont hybrides et ce sont aussi des femmes blessées, leur caractère est fait de leur histoire et elles tendent un miroir à chacun. Dans mon enfance, j’ai connu ce patois et tout cet apparat rustique du terroir. L’ancrage est important pour moi, c’est pour cela que je donne une place importante à l’histoire médiévale dans Les Hyènes. Il se trouve que j’ai choisi des toponymes réels alors que j’invente presque tout ! »

Lorsque l’on observe le personnage de Blanche qui ne souhaite pas avoir d’enfant pour rompre avec sa lignée familiale, peut-on penser que votre roman représente d’une certaine manière la chronologie de l’émancipation féminine ?

AF : « Il y a quelque chose comme cela, effectivement. Contrairement à Clara, la première de cette lignée qui se fait agresser sexuellement, les suivantes ont appris à se défendre. Peut-être maladroitement, certes (rires) mais elles savent. À l’ère médiévale, la première de cette lignée parle avec son corps et progressivement cette émancipation va passer par les mots. Blanche est presque à l’opposé extrême et n’en veut pas aux hommes. Elle essaye de se libérer d’une assignation : un schéma sociétal qui bloque la femme. Et elles ont également leur impact là-dedans ! »

Vous êtes également passionnée par l’Afrique de l’Ouest et cela se ressent beaucoup dans vos écrits plus anciens, l’hyène est-elle un clin d’œil à ce continent que vous chérissez tant ?

AF : « S’il y a un clin d’œil, c’est celui fait aux femmes. Contrairement à certaines images que l’on a, la femme en Afrique de l’Ouest n’est pas une soumise. Elle est forte, et beaucoup de choses dans sa société reposent sur elle. Il m’est arrivé de vivre avec ces femmes dans des villages, et ce sont les premières levées, les dernières couchées. Elles font tout : le travail aux champs comme le travail domestique. La caricature de la femme africaine soumise n’a aucun sens, il y a une puissance incroyable chez elle, comme une sororité que j’ai pu ressentir entre elles et moi. En ce sens, l’hyène est symboliquement similaire par son autonomie et sa force. »

Vous êtes essentiellement connue pour vos contes et vos nouvelles, était-ce un défi que de changer de genre pour créer Les Hyènes ? Pourquoi migrer vers le roman ?

AF : « C’est plutôt l’inverse ! Je n’ai pas publié de roman auparavant mais cela ne veut pas dire que je n’avais pas de romans en cours. L’écriture romanesque prime chez moi. Les drames familiaux, la transmission intergénérationnelle… c’est en réalité là-dessus que j’ai le plus écrit. Cependant, c’est une autre dimension que d’aller au bout d’un roman, il a besoin de mûrir en soi, et le travail d’écriture ou de réécriture peut durer des années. C’est très long de trouver un éditeur et d’être publié, cependant je ne veux pas faire de hiérarchie entre mon roman et mes contes, je souhaitais simplement prendre le temps nécessaire. Il faut accepter les doutes et prendre le risque, c’est cela qui créer ce décalage entre la genèse des textes et la chronologie de leur publication réelle. »

Le terme de « sorcière » est redondant dans Les Hyènes pour définir vos personnages. Quelle dimension donnez-vous à cette dénomination dans votre œuvre ?

AF : « La symbolique attachée à la sorcière est généralement négative, mais pour moi il n’en est rien, au contraire. La femme sorcière représente l’autonomie, celle qui n’a besoin de personne et dispose de son corps comme elle le souhaite. Elle est belle pour son ambiguïté. C’est une vision féministe, mais pas enragée. Cependant, la sorcière du Moyen Âge n’est pas du tout comme la sorcière moderne, mais leur point commun reste celui de femmes que l’on craint, elles imposent le respect positivement et négativement. Le fantastique élargit le champ sémantique de la sorcière et le conte n’est jamais totalement absent de mon roman par la légende médiévale. J’aime l’idée de laisser planer le doute car la lecture appartient totalement au lecteur, il prend possession du texte. »

Avez-vous été inspirée par des auteur(es) pour l’écriture de ce premier roman ?

AF : « Précisément, pour ce roman, non. Je ne pourrais pas dire qu’un auteur ou un texte particulier m’ait inspiré. Mais l’atmosphère fantastique a peut-être à voir par exemple avec ce que j’aime tant dans les romans de Marie NDiaye, mais aussi dans toute l’œuvre de José Saramago. Mon écriture est pleine d’influences de manière générale et c’est un agrégat de tout ce qui me fascine et que je n’atteins jamais vraiment. »

Crédit photo : Les vagabonds sans trêves

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>Lire la chronique de Trouble Bibliomane sur Les Hyènes d’Annie Ferret

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