
Après tant de critiques positives sur Le passeur, premier roman de Stéphanie Coste publié aux éditions Gallimard, j’ai également souhaité m’en faire un avis. Que dois-je me demander de plus, si ce n’est pourquoi je ne l’ai pas commencé plus tôt ?
Après avoir vécu l’emprisonnement en Erythrée, Seyoum est arrivé sur les côtes libyennes pour devenir passeur, il achète des bateaux de fortune pour la traversée des migrants tout en faisant payer le prix fort aux passagers. Ravagé par l’alcool et son addiction aux feuilles de khat, est-il encore possible de faire preuve d’humanité devant la misère du monde ? Un convoi l’amènera pourtant devant une réalité autre, celle d’un passé tragique qui surgit.
« J’avais entendu parler à Asmara de ces trafiquants qui pouvaient attaquer dans le désert pour racketter les proches des victimes. Mais on croit toujours avoir atteint son quota de malheur, son quota de souffrances. On se dit Dieu va me donner du répit, des forces, du sursis. Puis on se demande à quel moment Dieu a enfilé les habits du Diable, et ses chaussures pour nous piétiner avec ? »
Ce roman n’était, au départ, absolument pas un thème de prédilection. Je me suis donc lancée dedans avec beaucoup de curiosité, et peut-être un peu d’appréhension. Pourtant, j’ai été tout de suite happée par l’histoire de Seyoum et sa psychologie complexe. Loin d’être un simple personnage dépourvu d’humanité, Seyoum est la personnification du trauma des Erythréens et de toutes les victimes de la guerre. Après avoir vécu l’emprisonnement, l’embrigadement, mais aussi la dictature, un monde différent s’ouvre à lui. Un monde dans lequel les sentiments n’existent pas, peut-être par protection mais surtout par amertume de la vie. On déteste ce personnage et on ne peut pourtant qu’indéniablement le comprendre.
Stéphanie Coste nous plonge dans cet enfer où le besoin d’argent et celui de refaire sa vie coûte que coûte prime sur tout. Son écriture est magnifique, jouant çà et là de figures de style très poétiques pour imager ce bateau qui tangue terriblement sur la mer impétueuse ressemblant fortement au déluge biblique. Cette arche de Noé humaine et complètement dystopique fait vibrer de tristesse. Elle vogue à travers les mots de l’auteure comme un espoir, pourtant minime, vers un jour et une terre meilleure pour tout reconstruire.
Mieux que cela encore, Le passeur raconte l’indicible vérité, celle de millions de migrants qui tentent tout pour protéger leur famille de la misère. Il raconte les cris de détresse, les corps échoués sur le sable, la faim, la soif, mais l’espoir. Ce n’est pas toujours facile d’être devant une vérité criante à travers la fiction, même quand on la connaît déjà, car poétisée elle fait bien plus mal encore. Insoutenable et sublime à la fois, Le passeur narre l’humanité moderne comme jamais.
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