Entretien avec Stéphanie Coste : « Je crois énormément à l’emprise des personnages sur l’écrivain »

Entretien avec Stéphanie Coste : « Je crois énormément à l’emprise des personnages sur l’écrivain »

Fraichement récompensée par le Prix de la Closerie des Lilas pour Le Passeur (Gallimard), Stéphanie Coste revient sur ce premier roman associant fiction et réalité qui a tant bouleversé ses lecteurs. Recherches, passion, complexité et projet d’écriture, l’auteure lisboète également en lice pour le Prix Orange du Livre n’a pas terminé de nous surprendre.

Ce premier roman est court mais très intense. Comment vous est venue l’idée d’associer la fiction à un fait d’actualité ?

Stéphanie Coste (SC) : « J’avais envie depuis longtemps d’écrire un recueil de nouvelles sur l’Afrique qui alternait un destin tragique et plus clément tout en interpellant le lecteur sur les réalités difficiles dont il ne serait pas vraiment au courant ou conscient. Le passeur a pris plus d’ampleur car il y avait tant de choses à dire… C’est donc devenu un roman court, mais un roman quand même ! Je voulais raconter l’histoire d’un destin bien sûr, mais qui en dise également sur l’Histoire de deux pays : l’Erythrée et la Libye. Dans mes lectures, j’aime découvrir une intrigue mais aussi apprendre quelque chose que je ne sais connais pas sur l’actualité, la société ou l’Histoire. »

Votre enfance au Sénégal et à Djibouti a-t-elle été une influence pour choisir le thème du roman ?

SC : « Oui absolument, mais uniquement Djibouti concernant Le Passeur. Ce n’est pas un hasard si j’ai décidé que mon personnage central, Seyoum, soit érythréen. De même pour les passages sur la dictature là-bas, car l’Erythrée est un pays limitrophe à Djibouti. Lorsque j’y habitais avec mes parents, nous étions encore en pleine guerre d’indépendance entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Nous ne pouvions pas nous y rendre mais adolescente, j’entendais déjà mes parents parler de la situation là-bas, à quelques centaines de kilomètres de Djibouti et cela m’a marquée. Lorsque l’idée du Passeur a germé, on parlait énormément du drame des migrants. Comme de nombreux Erythréens fuient leur pays pour atteindre l’Europe, c’était une évidence pour moi d’en faire le centre de mon récit. »

La psychologie de Seyoum,  le personnage principal du livre, est très complexe. Il est à la fois individualiste et profondément brisé par la vie. Avez-vous rencontré un passeur pour créer ce personnage ou supposez-vous simplement que cette façon d’être est plausible dans le milieu ?

SC : « Je n’ai malheureusement pas eu l’opportunité de rencontrer un passeur. N’étant pas Grand Reporter ou n’ayant pas une profession légitime à le faire pour avoir l’autorisation, ce n’était pas possible. En revanche, j’ai visionné et écouté des dizaines de témoignages et je me suis documentée pendant presque deux ans. J’ai lu des centaines d’articles et énormément de romans sur le sujet. Quelques semaines après le début de l’écriture, j’ai pourtant eu le sentiment que mon passeur, Seyoum, s’était construit indépendamment de moi et inconsciemment dans ma tête sur la base de toutes ces informations absorbées, probablement triées par mon cerveau. Il en savait plus que moi. En fin de compte, je l’ai laissé faire, j’ai lâché prise, c’est là qu’il est devenu crédible et vivant. Je crois énormément à l’emprise des personnages sur l’écrivain. »

A travers votre roman, souhaitez-vous sensibiliser le lecteur au sort des migrants ?

SC : « Je ne sais pas si le mot « sensibiliser » est adéquat car je n’ai malheureusement pas les réponses aux questions que j’ai voulu aborder dans mon roman, mais plutôt une volonté d’interpeller mes lecteurs potentiels, leur donner la curiosité d’aller plus loin que les photos de naufrages véhiculées par la presse au milieu d’autres actualités qui n’ont rien voir. Simplement prendre une carte de géographie, retracer la route de leur calvaire pour comprendre les enjeux et les risques. Je voulais aussi soulever la question de l’exil, ce qui pousse un être humain à quitter sa patrie, sa famille, ses amis et sa maison pour prendre tous ces risques dont il a pourtant conscience. Je souhaitais donner un nom et une origine à ces migrants, les humaniser sans tomber dans le militantisme qui serait tout à fait déplacé de ma part. »

Comment voyez-vous évoluer leur situation ces prochaines années ?

SC : « Il m’est difficile sans expertise de donner une réponse satisfaisante. Cependant, j’estime que tant que l’on ne traitera pas le problème à son origine comme les dictatures, les famines, la surpopulation et leurs insécurités, on ne trouvera pas de solution adéquate pour eux, ni pour les pays d’accueil qui n’arrivent pas à gérer ce flux par manque de moyens et de place. C’est un double problème. Ces populations de migrants espèrent vivre des jours meilleurs en Europe mais se retrouvent parqués dans des camps de rétention ou renvoyés chez eux. Les pays d’Europe quant à eux sont simplement dépassés. A ce jour, l’intégration reste très difficile et c’est un vrai défi, d’où l’intérêt de régler le problème à sa source. Et encore, il reste de nombreux facteurs ethniques, culturels, ou géopolitiques que les occidentaux ne maîtrisent pas. A mon niveau, la situation semble assez inextricable. »

Peut-on vous définir d’auteure engagée ?

SC : « Je ne peux et ne veux pas me prétendre auteure engagée car cela impliquerait à mon sens une action réelle dans cet engagement, c’est-à-dire militer, agir pour des associations, aller sur le terrain, or je ne le fais pas même si j’y suis bien sûr sensibilisée puisque j’écris dessus. Je me vois plutôt comme une auteure qui a envie d’interpeler les gens sans pour autant marteler des intentions, je souhaite informer et surtout raconter des fictions sans prétention politique ou militante. Et au-delà, s’interroger sur cette éternelle question de l’origine du Mal à travers la répétition de l’Histoire. C’est peut-être une ambition naïve mais pas tant que ça à mon sens. »

Après avoir décroché le prix de la Closerie des Lilas, entrevoyez-vous déjà l’écriture d’un second roman ?

SC : «Oui ! Je me laisse un peu le temps de vivre cette merveilleuse aventure après quatre années seule dans l’ombre de ma bibliothèque de quartier avec Seyoum et mes personnages (rires). C’est excitant et anxiogène à la fois d’être exposée au grand jour ! Mon deuxième roman se déroulera encore en Afrique, une véritable obsession ! En Tanzanie, plus précisément, et traitera de l’hégémonie économique de la Chine sur l’Afrique depuis les années 1970. Cependant, je veux traiter le sujet de façon moins éprouvante que Le passeur, de façon à construire une sorte d’antihéros à la Graham Greene dans Notre homme de la Havane, l’un de mes livres de chevet culte ! »

Lire la chronique de Trouble Bibliomane sur Le passeur

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