
Après une entrée en littérature très médiatisée par la blogosphère et la presse pour son roman Sous le soleil de tes cheveux blonds (Stock, 2019), Agathe Ruga revient cette année avec L’homme que je ne devais pas aimer (Flammarion), un roman lyrique marqué par l’implosion jouissive et subtile des sentiments les plus fiévreux…
Ariane est mariée et mère de trois enfants. Le jour où son regard croise celui de Sandro, barman sulfureux de dix ans son cadet, tout s’effondre. Cette passion adultère marque le début de la fin, la maladie, le jugement dernier d’une famille unie. Elle tombe peu à peu dans un monde qui n’appartient qu’à elle dans lequel rien n’a de sens si ce n’est celui d’une idylle fulgurante avec l’objet de son désir. Dans cette cohorte sentimentale, Ariane opère un retour en arrière sur les hommes de son passé, ses amants, ses beaux-pères et toutes ces figures masculines qui forgent l’aveu d’envies différentes au fil des années. Sandro lui propose malgré elle un voyage conscient et inconscient vers un autre espace-temps loin du climat familial et sécurisé qu’elle connaît, mais à quel prix ?
« Pour lui, la violence était une façon de communiquer comme une autre. Ses films cultes étaient les mêmes que ceux de mon frère : Le Parrain, La vie est belle, La vérité si je mens, Gladiator. Je n’avais aucun effort à faire pour reconnaître les répliques qu’il volait aux personnages. J’avais les références. Avec lui, j’étais chez moi. »
Il n’aura pas fallu attendre Agathe Ruga pour nous parler d’adultère et d’amour fiévreux. Mais ce nouveau roman de l’auteure a le goût de ce que l’on pourrait appeler la relève générationnelle plus que la simple inspiration. Visiblement très imprégnée des écrits d’Annie Ernaux – et plus précisément d’un certain Passion simple (béni par Ariane, le personnage principal), l’auteure et blogueuse semble oser l’autofiction amoureuse sans pour autant se confondre avec son aînée. Optant pour une écriture très poétique, Agathe Ruga prend le temps de mettre un mot et un détail sur chaque émotion, quitte à paraphraser tant que la maladie d’amour est parfaitement esquissée sous sa plume.
La blessure est là, l’excès également et prendre part aux secrets d’une femme abîmée par la routine d’un homme qui ne la regarde plus ne semble plus si intime que ça, cette grande banalité donne à ce roman un charme fou. Par ce personnage fragile, on lève le voile sur l’impact du regard de l’être aimé tout en démystifiant l’adultère tant qu’il donne accès au bonheur sans limite. Rien n’est dit à demi-mot quand cette hypersensibilité s’insinue entre chaque phrase. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant d’y retrouver Frédéric Beigbeder lorsque l’on vient à parler d’excès ! Ainsi, les hommes de la vie d’Ariane défilent pour créer les pièces du puzzle qui la fondent, la façon dont une femme se construit par les figures masculines de sa vie comme une hagiographie contestée aux multiples évangiles.
Entre l’histoire d’amour traditionnelle et les échanges 2.0 sur Snapchat, L’homme que je ne devais pas aimer séduit totalement le lecteur par son intemporalité, son imperturbable justesse, son bovarysme assumé et ce refus absolu de vivre sans en avoir le souffle coupé.
Une réflexion sur “L’homme que je ne devais pas aimer, Agathe Ruga”