Jumeau jumelle, Marisol Drouin

Jumeau jumelle, Marisol Drouin

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Jumeau jumelle, Marisol Drouin – Trouble Bibliomane

Panser la douleur et raconter l’histoire de la perte par l’écriture, c’est en partie ce que Marisol Drouin avait fait au travers de son essai Je ne sais pas penser ma mort en 2017. Alors cette fois-ci, l’autrice et poétesse québécoise s’empare du sujet par un tout autre prisme. Liant le récit aux souvenirs de l’intime et à la force du sang que l’on partage, il y a dans Jumeau jumelle l’éternel amour face au vertige de la maladie.

De l’enfance à l’âge adulte, la narratrice explore avec minutie la relation qu’elle entretient avec son frère. Aux caractères tout à fait opposés se mêlent tout de même la solidité du lien fraternel et une admiration sans faille pour ce pendant masculin au cœur d’une famille parfois instable. A l’annonce de la tumeur incurable au cerveau dont il est victime, écrire ce livre dont les pages se tournent sans se ressembler devient pour elle une nécessité. Seul remède à l’inéluctable : évoquer la puissante fragilité de l’être pour ne pas sombrer tout en ravivant ce frère au destin écourté.

« On dit que c’est face à l’adversité que l’âme dévoile sa vraie nature. On dit aussi que les épreuves nous rendent plus forts. On dit ça et tellement d’autres choses. Tellement d’histoires qu’on se raconte pour éviter la brutalité du réel. Que le livre nous révèle si peu héroïques, aux prises avec des sentiments contraires, honteux et terrifiants. Que survivre nous rend davantage inquiets et dépossédés. Marqués du sentiment clair et vif de l’irréparable. Du brisé à jamais. Du tragique. »

La chronologie de la maladie est au centre de l’affection que la narratrice porte à son frère. Chaque détail est décrypté dans le processus du choc émotionnel et tous les sentiments convergent vers l’inacceptable. De l’accompagnement à l’hôpital, « lieu de toutes nos vulnérabilités », à la brutalité de l’annonce « Le mot et le lieu. Tumeur et thalamus. La masse et l’organe comme un petit cœur lové au centre du crâne », les remords naissent de la posture qu’entretient la narratrice face à la situation, elle qui est de l’autre côté. De celui des survivants en rémission certaine. Ce frère devient le miroir de ce qu’elle était autrefois dans la maladie, jumeau malchanceux (sans en être réellement un) dont « la maladie n’est pas la mort » mais bel et bien « encore la vie ».

De l’écriture incisive de Marisol Drouin naît pourtant la force des liens du sang, de ceux qui survivent à la vie comme à la mort, de l’amour porté à ce frère canonisé à jamais dans le livre de la narratrice. Si la souffrance et la perte ornent les pages, c’est avec une profonde poésie et un lyrisme éclatant que le récit est porté. Un livre dans un livre, « amas de mystère et de clarté » dans lequel l’écrivaine prend la place de celui qui s’en va, usurpe l’identité pour ressusciter puissamment et à jamais le corps qui dépérit en exprimant « la honte d’être encore vivante ».

Au son d’un morceau de Dolly Parton, sur les routes du Cap-Tourmente ou en fuite dans la nuit hivernale, l’autrice originaire de Baie-Saint-Paul esquisse avec une immense humilité les émotions contrariées, le déni au fil des saisons et la reconstruction au cœur même du chaos. De l’écriture au livre-objet, de la vie qui continue à la mort qui emporte tout, y résiste plusieurs pages blanches, livre inachevé ou métaphore de l’existence que l’on ne prédit pas. A chaque lecteur son interprétation…

Références de l’ouvrage : Jumeau jumelle, Marisol Drouin, La peuplade, 96 pages, 17 euros, parution le 4 avril 2023

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