
Jean-François Beauchemin, auteur québécois aux nombreux prix littéraires – notamment France-Québec 2005 pour Le Jour des corneilles, ne mériterait même plus qu’on le présente après plus de vingt-cinq ouvrages mêlant romans et recueils de poésie. Le Roitelet, paru en 2021 aux éditions Québec-Amérique, ne déroge pas aux thèmes que l’auteur aime particulièrement aborder dans sa bibliographie et c’est non sans joie et émotion que l’on retrouve ce pour quoi l’écrivain originaire de Drummondville semble en partie écrire : toute la relativité du réel et de l’esprit.
Le narrateur mène une vie paisible d’écrivain à la campagne avec sa femme Livia. Il se fait régulièrement visiter par son frère diagnostiqué très tôt schizophrène. Entre ses crises de paranoïa, le refus de se médicamenter et son amour inconsidéré pour les volatiles, la relation entre les deux hommes ne ressemble à aucune autre. Voguant entre amour fraternel tendre et inébranlable, nuitées philosophiques au coin du feu sur l’essence même de l’esprit humain et solitude, ils sont comme deux entités qui ne cessent de s’apprivoiser dans la vieillesse et l’existence qui suit son cours.
« Tout ce qui au fil des ans a modelé mon esprit l’a fait apparemment sans raison spécifique, comme un éboulis dispose arbitrairement au bas de la paroi son assemblage de pierres disparates. Mon frère, qui dans ses bons jours fait preuve d’un étonnant humour, a suggéré une fois que, le temps venu, on grave sur ma tombe ces mots : « C’était un brave homme. Mais il n’y était pour rien. » »
Dans le Le Roitelet, il ne se passe strictement rien. Nul rebondissement, péripétie, élément déclencheur de catastrophe ou quoi que ce soit d’autre et c’est en cela que réside toute la profonde beauté de ce court récit. Le narrateur expose son quotidien ponctué de ses écritures, ses conversations sur l’âme et la réalité avec son frère ou encore l’affection sans faille éprouvée pour sa femme depuis toutes leurs années de relation. Comme souvent chez Jean-François Beauchemin, l’extrême mélancolie du temps qui passe se fait poésie sous les mots de l’écrivain qui glisse dans un crépuscule ou un chant d’oiseau la beauté de l’instant présent qui jamais ne reviendra. C’est avec ce même lyrisme qu’il initie la maladie de ce frère, un « petit oiseau délicat » assimilé à un roitelet qui règne avec fragilité sur son minuscule royaume.
Il y a ici l’art précieux de nommer les plus intenses émotions avec les mots justes, à créer une atmosphère où la violence des actes ne résiste jamais longtemps à la force de la filiation. C’est une contemplation du monde quotidiennement renouvelée et une observation de l’autre absolument merveilleuse. Jean-François Beauchemin met au service de son lecteur toute sa philanthropie littéraire menée à la fois par une simplicité absolue et une subtile étude. Autour de ce frère malade qui « utilise des mots rares ou compliqués », la nature se dresse grandiose et onirique, elle « répandait partout sa lumière traversée d’or et de cuivre » comme le mentionne l’écrivain. Cette palette de tons bucoliques donne au récit une grâce rare qui sublime toute chose qui passerait en elle.
Ce qui est rassurant, c’est bel et bien de savoir que la bibliographie entière de l’écrivain québécois porte en elle les détails d’un monde lyrique empreint d’une didactique de l’âme omniprésente. On se surprend à rêver au cœur même de l’extrême tristesse d’un instant, c’est peut-être ça le vrai génie de son écriture.
Références : Le Roitelet, Jean-François Beauchemin, éditions Québec-Amérique, 144p., 16 euros
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