
Ce début de semaine commence par la chronique de l’incroyable coup de cœur que j’ai eu pour Les Hyènes d’Annie Ferret publié aux éditions Grasset. Une lecture inoubliable.
Dans la famille de Blanche, les femmes dominent et sont mauvaises comme des hyènes. Avares, médisantes, ou suspicieuses, elles sont frappées depuis des générations par un feu de haine au creux de leur ventre qui ne s’éteint jamais. Pour rompre avec toute cette violence et briser cette malédiction, Blanche ne souhaite pas avoir d’enfant et tente peu à peu de comprendre l’histoire de sa lignée. Quel trauma transgénérationnel peut déclencher une telle haine ?
« Une femme comme elle était jugée délurée, une perdue qui ne savait pas où était sa place, une arrogance qui risquait de déviriliser son époux. En voulant faire valoir sa parole face à son mari, son comportement mettait la société en danger et cela expliquait pourquoi on avait fait d’elle, et de ses filles, des sorcières. »
Je vais le répéter, mais j’ai trouvé ce roman incroyable. Le cœur de cette œuvre est bercé par un thème qui m’intéresse depuis de nombreuses années pour sa pertinence : les mémoires transgénérationnelles. Celles-ci s’appuient sur l’étude de l’arbre généalogique d’un individu pour expliquer ses comportements et traumas actuels qui traversent les âges. Ainsi, il est tout à fait possible de ressentir par exemple, des angoisses profondes sans raison apparente, qui sont en réalité transmises par votre grand-mère, la peur au ventre, sous les bombes de 1939-1945.
Ici, c’est un peu pareil. La douleur et la colère traversent les générations de la famille de Blanche. A travers la quête de ce personnage principal, les rapports entre les hommes et les femmes sont au centre de tout. Plus particulièrement de la cruauté masculine sur le corps féminin, les abus sexuels.
En lisant ce roman, j’ai eu la sensation de prendre part à un secret. Il est de ces intrigues où , vous aussi, lecteur, vous devenez personnage en toute omniscience. Vous prenez part aux non-dits familiaux et sortez les fantômes du placard. Vous vous immiscez dans l’intimité décousue, traumatique, et découvrez l’impensable. Bientôt, leur histoire devient la vôtre. C’est en cela que réside toute l’atmosphère de ce roman. Nous sommes projetés dans la cuisine de la bâtisse branlante aux chaises en formica et l’on écoute l’histoire. Ces femmes-hyènes en veulent aux hommes pour leurs actes et reproduisent le schéma familial encore et encore. C’est triste, mais c’est aussi très beau. Dans la complainte et la douleur émane la rébellion.
Blanche porte bien son nom et tente de signer un traité de paix avec ce passé maudit. En cela, chaque personnage est mûrement travaillé pour créer une personnalité unique tout en gardant ce lien filial qui unit ces femmes. Une prouesse d’écriture et de construction narrative.
Ce roman est sûrement celui que j’attendais depuis longtemps dans ma bibliothèque. Sans être profondément ancré dans un féminisme moderne, il met en lumière la femme « propriété » des hommes au cours des siècles, celle qui doit se soumettre à la violence des envies sexuelles masculines, celle qui se doit d’enfanter et d’être une bonne maîtresse de maison. Le tout, évoluant progressivement vers son inverse : une femme libre d’enfanter ou non, un électron qui gravite seul. J’ai été impressionnée par Les Hyènes, mêlant fiction et terribles vérités. Ce premier roman d’Annie Ferret est magistral.
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